Troubles alimentaires des ados : une alternative au suicide ?
Anne Joly, psychiatre au CHU de Bordeau, le constate au quotidien : les troubles alimentaires des ados cachent souvent un mal-être et des tendances dépressives. Pour Ma vie en PLUS, elle détaille le phénomène et nous donne quelques conseils pour détecter les signes précoces d’une échappatoire dans l’alimentation.
Qu’appelle-t-on « troubles des conduites alimentaires » ?
Les troubles des conduites alimentaires sont des perturbations persistantes du rapport à l’alimentation qui arrivent chez des patient·e·s qui vont vivre ça pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. On décline ces troubles en trois grands ensembles : l’anorexie, la boulimie et l’hyperphagie boulimique.
Quelles sont les causes de ces troubles alimentaires ?
Il y a toujours des facteurs favorisants ou des facteurs de vulnérabilité. Il peut y avoir des prédispositions, peut-être pas génétiques, mais en tout cas héréditaires. On retrouve des cas de troubles alimentaires parfois dans les fratries, chez les parents, chez les grands-parents. Il y a souvent un terrain favorable.
Il peut y avoir aussi une histoire de vie avec des traumatismes ou des problématiques qui fragilisent la construction de l’individu.
Le contexte sociétal en occident met également le focus sur le rapport au corps avec cette idée que l’image qu’on renvoit est importante. Tout ça étant accentué par les médias et les réseaux sociaux.
Comment savoir si notre ado est concerné·e ?
L’adolescence est une période au cours de laquelle les jeunes ont envie de faire leurs propres choix donc ils ne sont pas toujours sous le regard des parents. Cependant, on va quand même pouvoir identifier certains signes.
Avec l’anoxerie, il va y avoir une perte de poids, ce qui est souvent visible. La boulimie avec vomissements peut passer inaperçue pendant de nombreuses années. L’installation des symptômes peut être lente comme elle peut être très rapide. Quand on voit un changement brutal de comportement par rapport à l’alimentation, comme la mise en place de programmes sportifs très structurés ou de régimes alimentaires très strictes, les parents doivent faire attention au fait que ça ne dérape pas vers quelque chose de pathologique.
Le fait de se prendre en main n’est pas en soi une mauvaise chose. Ce qui est problématique, c’est quand cela devient identitaire. Les adolescent·e·s cherchent parfois des trucs pour aller mieux. Le fait de suivre un programme sportif ou alimentaire peut devenir un de ces trucs qui va les satisfaire car ils y trouvent des bénéfices. Le risque est alors que cela s’installe et dérive vers la perte de contrôle.
Est-ce que l’ado se rend compte de ce qui se passe ?
La question de la perte de contrôle est indissociable de la question du déni. La·le jeune peut savoir qu’il y a un problème, mais ne pas vouloir en faire quelque chose parce que, par ailleurs, elle ou il y trouve des bénéfices pour son estime de soi, dans son rapport aux autres. Par exemple, une jeune fille qui se trouvait très ronde et mal dans sa peau, qui se rend compte qu’elle peut contrôler son poids en contrôlant ses calories, va trouver ça très bénéfique et ne pas vouloir y voir un problème, même si une partie d’elle prend conscience qu’il y a un souci, notamment quand la perte de poids s’accentue et ne s’inverse pas.
Pareil pour la boulimie, les patient·e·s savent que, pour maintenir un poids correct tout en ayant des accès boulimiques, il y a des vomissements. Mais bon, si c’est la condition pour être bien et trouver un équilibre, le choix est vite fait.
On peut relier ces troubles au risque suicidaire chez les ados ?
Très souvent, on se rend compte que de manière sous-jacente à un trouble des conduites alimentaires, il y a des affects dépressifs et un mal-être qui étaient préexistants. Par exemple, un sentiment de ne pas être à l’aise avec les autres, de ne pas trouver sa place, de ne pas se sentir bien dans sa peau. Les jeunes y trouvent une sécurité qu’ils ou elles n’avaient pas avant.
On peut donc rencontrer des patient·e·s qui se sentaient aller très mal et quand la solution anorexique apparait ou la solution boulimique, ils ou elles se sentent beaucoup mieux. Il y a une forme de toute-puissance, un peu comme on peut retrouver parfois avec des adolescent·e·s suicidaires qui pensent qu’ils ou elles ne vont pas mourir.
Le lien entre les troubles et le suicide est donc ce chemin de traverse : pour éviter de s’effondrer plus au niveau dépressif, il va y avoir les troubles anorexiques ou boulimiques. Un des risques de ces troubles alimentaires est le passage à l’acte suicidaire. Par exemple, des patient·e·s qui n’arrivent plus à maintenir leur anorexie et qui basculent vers la boulimie, prenant beaucoup de poids en peu de temps, peuvent se retrouver dans un état de souffrance psychologique intense. Ce phénomène, où la·le patient·e perd complètement le contrôle, peut entraîner des gestes très graves, y compris le suicide.
Que faire pour prévenir les risques ?
La prévention joue un rôle crucial. Il est important d’être à l’écoute des enfants dès leur plus jeune âge. Créer des espaces de parole et être vigilant·e face aux signes de souffrance psychologique est essentiel. Un repérage précoce peut permettre une prise en charge rapide. Par exemple, il peut être utile d’amener les jeunes à consulter un·e professionnel·le de la santé mentale lorsque tout va bien. Cela les rendra peut-être plus enclin·e·s à consulter en cas de difficulté future.
Il est également important que les professionnel·le·s de l’éducation soient capables de repérer les signes de changement dans le comportement des jeunes. Un changement dans l’attitude, comme un enfant habituellement joyeux devenant plus renfermé ou une bonne élève qui commence à montrer des signes de stress, peut être un indicateur. Le repérage est donc essentiel.
Ma vie en PLUS
Dès les premiers signes de troubles alimentaires, parlez-en à votre médecin généraliste qui pourra décider de débuter un trajet de soins « troubles de l’alimentation » avec votre enfant. En fonction de ses besoins, il ou elle identifiera les professionnel·le·s de santé à intégrer au trajet de soins et un plan de traitement vous sera proposé.