« Mettre des mots sur un suicide est encore tabou mais essentiel »

Parler du suicide est un tabou, et pourtant, c’est essentiel… mais pas n’importe comment. Explications de Florence Ringlet, psychologue et directrice de Un pass dans l’Impasse, une asbl spécialisée dans la prévention du suicide et l’amélioration de la santé mentale.

Quand une personne décède par suicide dans une famille, ses proches vivent trop souvent le deuil dans le silence. Il y aurait comme une honte à évoquer ce geste… et une gêne de la part de l’entourage à mettre des mots sur ce que beaucoup considèrent comme l’innommable. Pourtant, la parole sauve. C’est ce que nous explique Florence Ringlet, psychologue spécialisée dans cette question.

Quels types de réactions observez-vous de la part des proches quand survient un suicide ?

Certaines se protègent de la question et demandent parfois à la·au médecin généraliste de faire une déclaration évoquant un décès naturel. D’autres, quant à elles, n’ont pas de problèmes à dire qu’il s’agit d’un suicide.

Comment évoquer le suicide avec des enfants ?

En général, pour protéger l’enfant, les parents ont tendance à éviter cette révélation. D’abord parce que c’est insupportable pour eux en tant qu’adulte, et puis parce qu’ils se disent que leur enfant ne va pas pouvoir la supporter. Et c’est une erreur de le penser. Concrètement, dans ce cas, il s’agit d’abord d’annoncer la mort de la personne, du papa ou de la maman par exemple. C’est très compliqué, ça prend du temps et il faut être capable de le faire. Après quelques heures ou quelques jours, s’il sent qu’il y a une porte ouverte, l’enfant aura tendance à poser la question: « Dis, qu’est-ce qui est arrivé à Papa ou à Maman ? ». Là on peut  répondre : « Ta maman ou ton papa n’était pas bien ». Parfois, si la personne était en grande dépression avant le suicide, l’enfant a déjà vécu des choses difficiles, il comprendra plus facilement. Par contre, si c’est soudain et que personne ne s’y attendait, l’enfant ne comprendra pas. Il faudra alors lui expliquer : « Ta maman ou ton papa allait très mal et c’était dans sa tête que ça se passait, elle·il n’a pas trouvé de solution et elle·il a cru que la mort était la seule option pour arrêter de souffrir. Mais en soi, ce n’était pas une solution ». On essaie d’aborder les questions comme ça sans entrer dans le détail si les questions ne le réclament pas.

Pourquoi est-ce essentiel d’en parler ?

Parce qu’un·e enfant a tendance à comprendre énormément de choses, bien plus, parfois, qu’on pourrait le penser. D’emblée, elle·il se posera des questions très concrètes et si certains points restent flous autour de la mort, cela ne l’aidera pas du tout à entrer dans son deuil. On peut se faire accompagner pour aborder la question du suicide avec un enfant.

Comment parler à un proche de quelqu’un·e qui s’est suicidé·e ?

C’est délicat quand on n’est pas nécessairement proche et qu’on est confronté à une personne en deuil après un suicide d’aller lui poser des questions trop précises. On risquerait, sans le vouloir, de renforcer un traumatisme. Il faut plus ou moins 4 à 6 semaines après le décès pour savoir si un stress post-traumatique s’est développé ou pas. Quand c’est le cas, à chaque fois qu’on évoque le sujet dans les détails, les émotions sont ramenées à vif. Et la personne peut être dans un état d’inconfort énorme, au point de revivre ses propres émotions au moment du décès. Il faut être assez discret quand on est confronté à des endeuillé·e·s par suicide et ne pas entrer trop dans les détails. Si elle·ils ont besoin de le faire, elles·ils le feront.

Pourquoi ne pas s’enfermer dans le silence ?

Quand on traverse une telle épreuve, il est très difficile de savoir ce qui pourrait nous aider. Pourtant on sait qu’en parler est une démarche essentielle. Cela prend parfois un peu de temps. Certains adultes viendront d’abord vers nous avec leurs enfants. A nous alors, en tant que professionnels, de renvoyer aux parents l’idée de se faire aider eux aussi. Il ne faut pas être malade pour consulter un·e psychologue. C’est important de mettre des mots sur les choses et de raconter ce qu’elles·ils ont vécu. Si les adultes ne font pas cette démarche sur leur propre personne, elles·ils ne pourront pas être aidants pour leurs enfants. Il faut savoir que les enfants vivent le deuil à travers ce que les adultes autour d’eux vivent.

Pourquoi le suicide reste-t-il un tabou ?

On parle peu du suicide parce que la santé mentale est connotée négativement. Souvent, les gens auront tendance à dire : « S’il y a eu un suicide dans cette famille, c’est qu’ils ont des problèmes ». C’est une difficulté. J’entends souvent des personnes en deuil après un suicide me dire qu’elles font leurs courses ailleurs, pour éviter les regards des gens qui les évitent parce qu’elles sont mal à l’aise de venir leur parler. C’est important, pour nous l’entourage, de faire attention à nos réactions. On peut tou·te·s être touché·e·s par le suicide et c’est très important de ne pas le stigmatiser.

Ma vie en PLUS

La·le généraliste peut intervenir comme première porte d’entrée, ou encore un centre PMS ou un·e ami·e pour un·e jeune… A l’asbl Un pass dans l’impasse, Florence Ringlet explique que les psychologues  reçoivent souvent des jeunes venus avec un copain ou une copine. « C’est une porte d’entrée facile. Jamais on ne refusera de les recevoir ensemble parce qu’on sait que la première démarche est la plus difficile. Après, on se rend vite compte que cela ne peut que faire du bien ».
Un pass dans l’impasse, une ASBL du réseau SOLIDARIS qui a pour objectif la prévention du suicide et plus largement l’amélioration de la santé mentale : https://un-pass.be/