Témoignage : « Mon quotidien de cérébrolésée »
Il y a six ans, Laurie a été victime d’un grave accident de voiture qui lui a laissé des séquelles cérébrales. Aujourd’hui, cette diplômée en traduction conserve des difficultés à trouver ses mots, organiser ses idées ou sa mémoire. Ce qui n’est pas toujours perceptible pour les autres est pourtant sa souffrance quotidienne, ce qu’on appelle un « handicap invisible ». Elle nous offre son témoignage.
Comment votre vie a-t-elle basculé ?
J’ai eu un grave accident de voiture le 24 avril 2016. Suite à cela, j’ai eu un trauma crânien, le bassin fracturé à plusieurs endroits et j’ai été dans un coma naturel puis artificiel. S’en est suivi une longue période de revalidation, d’abord en interne à l’hôpital, et puis en externe. Enfin, je suis allée dans un centre pour cérébrolésés. Tout cela m’a réappris à vivre, parce qu’on redevient un peu un enfant. Physiquement et même intellectuellement, on ne sait plus exactement comment on doit vivre. Quatre mois avant l’accident, je venais d’être diplômée en traduction et industrie de la langue. J’avais commencé à travailler en tant qu’agente d’accueil bilingue dans un office du tourisme, puis animatrice et guide touristique au Barrage de L’eau d’Heure. Suite à mon accident, j’ai dû mettre toutes ces connaissances linguistiques en veilleuse pour réapprendre à parler, tout simplement. Aujourd’hui, un de mes soucis principaux est d’avoir des difficultés à trouver mes mots. C’est un comble, pour une traductrice, de chercher ses mots !
Avez-vous pu recommencer à travailler ?
Après un long parcours de réadaptation, j’ai pu trouver un petit boulot administratif à mi-temps. C’est ce dont j’ai besoin, sinon je me sens perdue car j’ai de gros problèmes de mémoire. Cela ne se voit pas, c’est le propre du handicap invisible. On vous voit, on pense que vous allez très bien, que vous êtes une personne « normale », on oublie que vous avez des problèmes de mémoire, d’organisation, de réflexion et qu’il vous faut plus de temps que les autres pour organiser vos idées.
Le fait que votre handicap soit invisible est donc source de souffrance ?
C’est frustrant et ça fait vraiment du mal de toujours vous sentir diminuée, amoindrie. Au début, je ressentais le besoin de parler ouvertement de mon handicap, d’expliquer ma difficulté. Petit à petit, je n’en ai plus parlé parce que je veux être considérée comme une personne « normale ». Je ne veux surtout pas que le regard de l’autre en face de moi change. Percevoir un sentiment de pitié, ça fait vraiment mal. Je pense qu’une parade pour se sentir bien avec l’autre, c’est l’humour. Mon handicap, on en rigole et c’est mieux comme cela, parce que sinon on ne vit plus. Il faut faire avec cette fatigue, cette difficulté à s’organiser, ce manque de mots, cette irritabilité, cette nervosité.
Quelle aide avez-vous reçue ?
Suite à l’accident, ma famille a été très présente. Mais une fois que mon apparence est redevenue petit à petit celle d’avant, on a un peu oublié d’où je venais et les difficultés que je traverse encore. Le corps médical a été très présent pour moi à un moment où, finalement, je m’étais retrouvée toute seule. Le personnel soignant, les neurologues, neuropsychologues, kinés, ergothérapeutes, assistants sociaux, je les considérais un peu comme ma famille à ce moment-là. On se côtoyait très régulièrement au centre où je me rendais. D’ailleurs, nous étions plusieurs cérébrolésés. Cela m’a aidé, je me sentais proche de ces personnes qui traversaient les mêmes difficultés et, du coup, me comprenaient très bien.
Et aujourd’hui, comment vous sentez-vous ?
Je me sens mieux dans un sens parce que ma vie évolue. Dans deux ans, j’aimerais exercer un métier qui me plaît et arriver à travailler avec les difficultés qui sont là. D’un point de vue plutôt affectif, j’espère enfin pouvoir trouver quelqu’un avec qui la relation est possible malgré mon handicap. Il faut y croire de toute façon, c’est le but de la vie: croire en ses projets, ses ambitions.
Qu’attendez-vous des autres ?
J’attends que l’autre soit humain et compréhensif, qu’il ne me voit pas avec des préjugés, qu’il ne me prenne pas pour une imbécile mais me traite avec respect, comme une personne « normale ». Faire face aux imprévus est très compliqué pour moi, c’est déstabilisant. Alors parfois, je gère très bien et parfois pas. Cela engendre des quiproquos, des disputes. J’ai besoin qu’on en parle.
Ma Vie en PLUS
Pour toutes les questions liées au handicap, à la maladie grave, chronique ou invalidante, qu’elle soit visible ou invisible, rendez-vous sur le site d’Esenca : www.esenca.be ou contactez le contact center d’Esenca au 02 515 19 19.