Le frein de langue restrictif, débat ou blabla ?
Le frein de langue, ce petit voile de peau qui relie la langue au plancher de la bouche, fait beaucoup parler de lui. Ces dernières années, on observe une augmentation des « frénectomies » dans le but, entre autre, de faciliter l’allaitement. Une pratique pas si anodine que cela et qui ne répond pas forcément à l’effet recherché. Vinita Hainaut-Das, sage-femme et consultante IBCLC en lactation, nous éclaire sur la question.
On parle beaucoup du frein de langue, mais qu’est-ce que c’est exactement ?
Un frein est un pli de tissu qui fixe ou restreint le mouvement d’un organe mobile, la langue en l’occurrence. On a des freins dans tout le corps et en particulier dans la bouche, au niveau des lèvres, des joues ou de la langue. Ce dernier relie la base de la langue au plancher buccal, ce qui est tout à fait normal, mais avec de grandes variations anatomiques. Parfois, on rencontre un petit voile devant ce frein de langue, qui peut être soit minime, soit aller jusqu’au bout de la langue, et entraîner cette langue en forme de cœur qui est, pour certaines personnes, caractéristique des freins de langue restrictifs.
Qu’entend-on par « frein de langue restrictif » ?
Certains voiles peuvent être plus épais et entraver vraiment le mouvement de la langue, entraînant des problèmes tels que des douleurs, lésions du mamelon, difficultés à prendre le sein,… A plus long terme, cela peut entrainer des problèmes d’insuffisance de lait et de prise de poids chez le bébé. Mais il est important de souligner que tous les freins ne sont pas restrictifs. Or, les symptômes précités sont des problèmes très couramment rencontrés lors des démarrages d’allaitement maternel. Il s’avère que 90% des douleurs, lésions du mamelon et autres problèmes de prise de poids ne sont pas liés à des freins de langue mais à de mauvaises pratiques ou conduites de l’allaitement maternel, comme de mauvaises positions entre la maman et son bébé.
Le débat autour du frein de langue semble animé, vous confirmez ?
C’est un vrai sujet de controverse! On observe, dans nos pays industrialisés, depuis dix ou quinze ans, une demande exponentielle pour la frénectomie, c’est-à-dire l’ablation d’un frein de langue ou de lèvre chez des bébés en raison de problèmes divers liés à l’allaitement. Quelle est l’origine de cette demande croissante ? Est-elle vraiment justifiée ? N’y aurait-il pas un problème de surdiagnostic au niveau des freins de langues, de lèvres ou de bouche en général ? C’est un sujet difficile.
Pourquoi est-ce que cette augmentation des frénectomies pose question ?
La frénectomie est une solution chirurgicale simple et facile à des problèmes d’allaitement qui sont souvent complexes et multifactoriels. Tout d’abord, lorsqu’une douleur lors d’un allaitement survient, elle n’est pas forcément liée à un problème de frein. Ensuite, il y a un côté malheureusement lucratif poussant de plus en plus de cliniques spécialisées à proposer des frénectomies. Or, beaucoup d’études ont démontré qu’il n’y a pas forcément d’amélioration aux problèmes liés à l’allaitement après la frénectomie. Enfin, sur les réseaux sociaux, énormément de contenus parlant des freins de bouche s’appuient sur une littérature incorrecte notamment en ce qui concerne la succion d’un bébé.
Que dit la littérature scientifique ?
Une étude publiée dans La revue Cochrane de 2017 a démontré que couper un frein de langue n’apporte pas forcément d’amélioration aux problèmes liés à l’allaitement. Ce n’est donc pas la solution qui doit être envisagée de prime abord. Beaucoup de personnes l’ignorent, mais la frénectomie n’est pas une intervention anodine. Il peut y avoir des complications suite à cet acte, les parents doivent réaliser des exercices pré et post-frénectomie, parfois de jour comme de nuit, ce qui est très contraignant pour les parents mais aussi et surtout pour le bébé.
Que faut-il faire quand l’allaitement ne se passe pas comme espéré ?
Il est important de consulter une personne formée en allaitement qui pourra, avant d’orienter vers un problème de frein de langue, revoir avec vous toute l’histoire de votre allaitement. Quelle est la position habituelle ? Est-ce qu’il y a un bon ajustement entre le bébé et le sein de sa maman ? On peut aussi rencontrer un·e ostéopathe car il peut y avoir des tensions consécutives à la grossesse ou à l’accouchement au niveau des mâchoires du bébé, qui empêchent simplement ce bébé de prendre le sein correctement, provoquant des douleurs. Ce n’est que lorsque toutes ces possibilités ont été envisagées qu’il faut éventuellement demander l’avis d’un pédiatre, d’un ORL ou d’un stomatologue par rapport à un frein de langue qui serait restrictif. Avant toute décision, il faut prendre du temps : on ne trouvera pas forcément une solution à un problème de position en quinze minutes ou une demi-heure, il faudra parfois voir la maman et le bébé plusieurs fois avant de se forger un avis valable.
Que penser des effets « délétères » cités sur internet à propos des freins non coupés ?
Ce type d’information effraye les parents et souvent à tort ! Il est important de ne pas utiliser internet ou les réseaux sociaux comme source d’information, mais de prendre contact avec des personnes, sages-femmes ou soignant·e·s, qui pourront vous aider dans les problèmes que vous rencontrez.
Cette décision est-elle parfois urgente ?
Pour moi, il n’y a jamais d’urgence à couper un frein de langue. Il faut prendre le temps d’analyser la situation et ce n’est que lorsque toutes les autres pistes ont été évaluées et qu’il est avéré qu’un frein de langue est restrictif, par un stomatologue formé, qu’une intervention peut être envisagée.
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