L’âgisme : c’est quoi ?
Il existe de nombreuses discriminations dans notre société. Certaines dont on parle plus que d’autres, comme par exemple le racisme et le sexisme. Mais il en existe une qui est encore très peu discutée, c’est l’âgisme. Bénédicte Janssen, chargée de projets en citoyenneté et communication pour l’asbl Liages, nous explique ce qu’est l’âgisme.
#1. L’âgisme, qu’est-ce que c’est ?
L’âgisme est un terme qui a été utilisé pour la première fois en 1969 par un gérontologue américain, Robert Butler, pour parler du mépris social envers les personnes âgées et du regard uniquement négatif qui est porté sur le vieillissement aujourd’hui. Robert Butler parle même d’un trouble psychosocial émanant d’une peur et d’un déni collectif du vieillir.
#2. Quel est le sens du mot « âgisme » aujourd’hui ?
Aujourd’hui, le terme âgisme a évolué et englobe toutes les discriminations qui sont fondées sur l’âge, c’est-à-dire que l’on soit discriminé parce qu’on est vieux/vieilles ou parce qu’on est jeune.
#3. Quelles en sont les causes ?
Les causes de l’âgisme sont multiples et complexes, elles sont principalement historiques et culturelles. On peut en souligner trois principales.
La première, c’est que nous vivons dans une société productiviste au sein de laquelle la valeur d’une personne est essentiellement basée sur ce qu’elle produit en termes d’emplois. Les personnes pensionnées sont donc en partie mises au ban de la société comme étant inutiles, parce que les autres rôles sociaux, comme par exemple les rôles familiaux, les rôles de transmission ou le volontariat, ne sont pas perçus comme aussi important.
La deuxième cause est notre rapport à la mort, qui a beaucoup évolué ces derniers siècles. La mort faisait, avant, partie de la vie dans le sens où elle se montrait : les cérémonies se faisaient à cercueil ouvert et le deuil se portait publiquement à travers toute une série de codes. Aujourd’hui, la mort se vit plutôt de façon privée, voire cachée, elle est presque devenue un tabou. L’idée de notre propre finitude nous est de plus en plus étrangère et les personnes vieillissantes en sont le rappel. Nous ne voulons dès lors pas être confronté·e à cette vieillesse.
La troisième cause touche principalement la façon dont le vieillissement des femmes est perçu. Nous vivons malheureusement dans une société qui est encore toujours sexiste et patriarcale et dans laquelle le fait de vieillir pour une femme est plus mal perçu que vieillir pour un homme. Pourquoi? Parce qu’on impose aux femmes deux grands rôles sociaux : le rôle d’enfanter et le rôle de rentrer dans des standards de beauté très étroits, c’est-à-dire être mince, blanche et jeune. Les femmes sont mises sous pression pour lutter contre tous les signes de vieillissement afin de ne pas perdre leur statut social.
#4. Comment s’exprime-t-il au quotidien ?
L’âgisme n’est pas qu’un terme théorique, mais s’exprime dans notre quotidien à tous et toutes, et en premier à travers les médias et notamment la publicité. La publicité véhicule énormément de stéréotypes sur la vieillesse. Si on ne s’en tenait qu’à la publicité, vieillir se résumerait à l’achat de monte-escaliers, à préparer ses obsèques, ou à lutter contre les fuites urinaires et contre les rides. Un autre média ou l’âgisme est très présent est le cinéma. Déjà parce que les personnages seniors y sont peu représenté·e·s. Sur 100 films, il n’y en a que 39 qui comportent un·e personnage senior et 6 seulement en font la·le personnage principal. Les rôles de femmes vieillissantes sont souvent joués par des actrices plus jeunes et les actrices qui vieillissent sont sommées de gommer leur âge ou de disparaître des écrans. Il y a d’ailleurs une association en France qui traite spécifiquement de ce sujet et qui a un nom très explicite : « Le tunnel de la comédienne de 50 ans. »
L’âgisme est aussi présent au niveau de notre langage quotidien. Prenons par exemple le fameux terme marketing « anti-âge ». Pour le moment, il n’y a qu’un seul magazine féminin qui a décidé de bannir ce terme, c’est le magazine américain Allure dont la rédactrice en chef explique bien sa démarche démontrant qu’elle veut éviter de renforcer l’idée selon laquelle le vieillissement est une condition que nous devons combattre. Car c’est bien cela que sous-tend le terme anti-âge. Il y a d’autres expressions qui sont encore perçues comme des compliments, alors qu’elles sont profondément âgistes, comme par exemple l’expression répandue « Tu ne fais pas ton âge ». Qu’essaie-t-on de sous-entendre par-là? Que faire son âge, c’est mal ? Qu’avoir l’air plus jeune, ce serait plus positif ?
Il y a aussi de l’âgisme dans la façon dont on s’adresse aux personnes âgées. Les linguistes ont appelé ça « la sur-adaptation » ou plus vulgairement, le parler vieux. C’est à dire quand, avant même de savoir si la personne en a besoin, on adopte un ton plus lent, on parle plus fort, on fait des phrases plus simples. Ceci signifie que l’on considère d’office que notre interlocuteur·trice est déficient·e parce qu’elle·il est âgé·e.
Il y a aussi un autre concept, soulevé notamment par Laurence Rosier, linguiste de l’université de Bruxelles, c’est la « délocutivité. » Ce terme désigne le fait de retirer le rôle d’interlocuteur ou interlocutrice à la personne âgée en faisant des phrases qui ne demandent pas de réponse, comme par exemple « On va aller au lit hein maintenant ».
Dans l’espace public aussi, on est confronté à beaucoup de comportements que l’on peut désigner comme âgistes. Cela peut être simplement de souffler à propos de la personne âgée qui se trouve devant nous à la caisse du supermarché, ou encore de considérer qu’il y a des endroits et des horaires pour les personnes âgées. Une personne senior ne pourrait pas prendre les transports en commun en heure de pointe parce que ce qu’elle a à faire est considéré comme moins important que le reste de la population.
Dans le monde du travail, l’âgisme s’exprime très violemment et très concrètement. Une étude menée par UNIA, l’Institut pour l’égalité des chances, a investigué ceci en répondant à 854 offres d’emploi avec 2 cv fictifs. Il n’y avait que l’âge du candidat ou de la candidate qui changeait, l’un avait 35 ans et l’autre 47. La personne de 47 ans a été invitée à un entretien d’embauche 7 à 8 fois moins souvent que la personne de 35 ans.
Dans les soins de santé, l’âgisme s’exprime le plus souvent par une négligence ou un refus de soins simplement basé sur l’âge. Aux Pays-Bas, on ne place plus de stimulateur cardiaque aux plus de 75 ans ce qui est bien sûr très problématique. Comment est-il envisageable de refuser un soin simplement sur la base de l’âge d’une personne et non sur base de son état biologique. À 75 ans, on peut être encore en très bonne santé, comme à 25 ans, être au bout du rouleau.
#5. Quelles en sont les conséquences ?
L’âgisme a des conséquences dramatiques sur la santé des aîné·e·s. L’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, estime qu’environ 6,3 millions de cas de dépression dans le monde sont dus directement à l’âgisme et qu’une personne qui a une vision négative du vieillissement vivra en moyenne sept années et demi de moins qu’une personne qui en a une vision neutre ou positive. C’est évidemment très compliqué d’avoir une vision positive du vieillissement quand on est sans cesse bombardé de messages âgistes. En dehors des conséquences sanitaires, il y a aussi des conséquences sociales puisque, quand on exclut toute une partie de la population on se prive aussi de ses richesses et de ce qu’elle pourrait apporter à la collectivité.
#6. Comment le combattre à titre individuel ?
Le premier réflexe à avoir lorsqu’on est témoin ou victime d’âgisme, c’est de s’adresser aux organismes compétents, UNIA par exemple, l’Institut pour l’égalité des chances. Si on croise une publicité âgiste ou qui porte la mention anti-âge, on peut aussi l’envoyer directement au jury éthique de la publicité. Il est fondamental de faire rentrer l’âgisme dans les statistiques de discriminations qui ont une forte occurrence ici en Belgique. On peut aussi avoir une démarche consciente et ne plus consommer ou acheter de produits portant la mention anti-âge afin de débanaliser ce terme qui est problématique. Il faut aussi pouvoir remettre en question notre propre vision du vieillissement. À force d’être confronté à des messages âgistes, inconsciemment et à travers des petites pensées qui nous viennent lorsqu’on croise des personnes âgées ou par rapport à notre propre vieillissement, on va faire preuve d’âgisme. C’est donc intéressant de le déconstruire pour soi-même. Ça peut être aussi intéressant de participer à des discussions intergénérationnelles, car si on ne se rencontre pas, on ne se connaît pas. Et si on ne se connaît pas, on ne pourra se percevoir qu’au travers de stéréotypes.
#7. Les actes d’âgisme sont-ils punis par la loi ?
L’âgisme est présent dans la loi de 2003 visant à lutter contre les discriminations. La loi interdit de discriminer l’accès à un bien, à un service ou à un emploi sur la simple base de l’âge d’une personne, sans autres critères objectifs. La loi prévoit des sanctions allant de l’amende à l’emprisonnement. Dans les faits, l’âgisme est encore très peu condamné parce que c’est une discrimination qui est encore trop souvent considérée comme justifiable.
Ma Vie en PLUS
Sur le site www.liages.be retrouvez une multitude d’articles informant et traitant de l’âgisme. On peut aussi y découvrir la campagne #laisselesridestranquilles qui a pour objectif de combattre l’âgisme dans notre société.