Cancer du sein : Irène et Françoise tournent la page
Chaque année , plus de 10 000 nouveaux cas de cancer du sein sont enregistrés en Belgique. Après avoir vaincu la maladie, comment se reconstruire ? Quel type de reconstruction choisir ? Est-ce possible de « redevenir comme avant » ? Rencontre avec Françoise et Irène, deux femmes au parcours et aux choix différents.
Ghlin, région montoise. 13h. Sous une pluie battante, nous sommes accueillis par Corline. Elle a ouvert son salon de tatouages et piercings il y a 9 ans*. Seule au début, elle est aujourd’hui entourée de Wallie et Huq, ses deux anciens apprentis, et de « guest » internationaux et nationaux qu’elle invite à tatouer chez elle le temps de quelques jours.
Parmi la déco très « Made in USA » et les croquis qui jonchent la table de travail, nous apercevons le dessin qui recouvrera bientôt le sein droit de Françoise. Un colibri, du chèvrefeuille et quelques rappels de la culture maori. « Je n’étais pas super fan des dessins maori que souhaitait Françoise mais je pense les avoir intégrés subtilement ». Françoise qui passe justement le pas de la porte, acquiesce. « Ces dessins sont un hommage à mon fils sur qui j’ai pu compter pendant la maladie. Il a les mêmes dessins tatoués sur son corps ».
Françoise, 60 ans, a bénéficié d’une reconstruction mammaire de type « DIEP ». Appelée aussi « la reconstruction autologue », la technique consiste à utiliser la peau (généralement de l’abdomen ou du dos) et la graisse de la patiente afin de reconstituer une poitrine. « Mon sein est là mais on voit toujours la cicatrice, la peau est d’une autre couleur et le mamelon a été mal refait. J’ai vu un reportage sur le tatouage après un cancer du sein et ça m’a décidé à le faire ».
Corline voit environ 5 personnes par an se présenter pour un tatouage destiné à cacher les séquelles d’un cancer du sein. Elle a commencé par hasard, à la demande d’une cliente. « Je m’en souviendrai toujours. En découvrant son tatouage, elle a immédiatement pris son téléphone, appelé son mari et lui a dit « ce soir chéri, tu revois ma poitrine » ». Ça faisait des années qu’elle n’osait plus la lui montrer. Ce jour-là, mon travail a pris une autre dimension ».
« On y va Françoise, tu es prête ? ». « Oh oui, j’ai déjà tellement souffert et subi tant d’opérations. Je ne m’inquiète pas pour la douleur ! Je suis prête ! ».
Des choix lourds de conséquences
Changement de décor et de lieu. Région namuroise, institut de soins esthétiques. Nous rencontrons Carole, championne du monde de maquillage permanent et Irène, 51 ans, sa cliente du jour.
Tumorectomie, mastectomie, chimio, radiothérapie, reconstruction… les femmes et hommes atteint·e·s d’un cancer du sein suivent tou·te·s un parcours différent en fonction de l’évolution de la maladie et de l’équipe médicale qui les accompagne. « On vous laisse un pouvoir décisionnel mais il est fictif », lance Irène. « Quand votre gynécologue ou chirurgien·ne vous dit que vous avez le choix, vous choisissez toujours ce qu’elle·il propose car c’est votre vie qui est en jeu. J’étais comme anesthésiée émotionnellement. Ce n’est qu’au moment de la reconstruction que j’ai pu poser de vrais choix ». Diagnostiquée en 2014 d’un cancer du sein de stade 1, Irène n’était pas destinée à subir une mastectomie. C’était sans compter sur la maladie. « Je suis le cas sur 1 million où le stade 1 se finit en mastectomie ».
Aujourd’hui, Irène s’apprête à « fermer le livre ». « C’est fini ! » s’exclame-t-elle, couchée sur la table de massage alors que Carole commence à dessiner son aréole mammaire.
Le maquillage permanent pour oublier
Carole ne pratique pas le tatouage artistique mais bien la dermo-pigmentation (maquillage permanent). En clair, elle dessine un mamelon (l’aréole mammaire) là où il n’y en a plus. L’illusion est totale : couleur, petits détails, veinules, tubercules… « J’utilise des ombres et des pigments de différentes teintes pour donner une impression de relief. C’est un trompe l’œil ». Point notable, Carole utilise des pigments médicaux qui ne contiennent pas de métaux lourds.
« Pour moi, le plus pénible, ce n’était pas le stade de la maladie car à ce moment-là, on cherche juste à se soigner. Le pire, c’est la reconstruction. On veut juste redevenir comme avant mais on doit en faire le deuil car on sait que ce sera impossible », raconte Irène. Et Carole d’ajouter : « Retrouver une aréole mammaire permet aux femmes de ne plus penser à la maladie à chaque fois qu’elles se regardent dans un miroir. Les souvenirs douloureux restent mais ce n’est plus son physique qui les lui rappelle ».
Des pratiques différentes pour une même émotion
Si Corline et Carole pratiquent de façon bien différente, elles soulignent toutes deux le caractère unique de la relation avec la cliente. « Ce ne sont pas des clientes habituelles. Elles n’ont souvent jamais été tatouées et entrer dans le studio demande plus de courage. », explique Corline. « L’émotion s’installe naturellement. Le tatouage permet de laisser la maladie derrière soi, de passer un cap. J’adore voir leur sourire en découvrant le tatouage ».
Carole confirme : « En fin de journée, je ressens une grande satisfaction, j’ai l’impression d’avoir aidé quelqu’un. Nous vivons dans une société où le paraitre est très important. Quand je travaille en paramédical, le parcours des patientes me permet de relativiser l’importance de l’apparence ».
Sur le départ, Irène nous interpelle : « vous allez bien publier la photo de mon mamelon tatoué ? ». La question nous surprend. « Quand vous avez un cancer, vous cherchez partout sur internet pour savoir à quoi vous pouvez vous attendre avec la reconstruction mais, on ne trouve jamais rien car il y a censure. La reconstruction est un parcours du combattant, j’aurais voulu être rassurée par des photos avant/après ». Chose promise, chose due…
Ma vie en PLUS
Informations pratiques
Coûts
Le tatouage de Françoise : entre 350€ et 500€ selon la grandeur. Une réduction de 50% par rapport à un tatouage classique. « J’estime qu’elles ont déjà assez souffert et payé pour leur chirurgie. »
La reconstruction de l’aréole mammaire d’Irène : 450€
Choisir sa·son praticien·ne
Avant de choisir un studio de tatouage ou un institut qui pratique la dermo-pigmentation, renseignez-vous sur la qualité des prestations proposées.
Sachez que les encres utilisées dans la reconstruction par tatouage sont, dans la plupart des cas, les mêmes que celles utilisées dans le tatouage classique (peuvent contenir des métaux lourds).
Malgré le combat de Carole, la profession de maquilleur/euse en dermo-pigmentation n’est pas une profession reconnue, les compétences et techniques peuvent donc être diamétralement différentes d’un·e praticien·ne à l’autre. Renseignez-vous sur les qualifications de la·du praticien·ne que vous choisirez, sur les types de pigments utilisés (médicaux ou non) ainsi que sur les conditions d’hygiène (stérilisation du matériel indispensable).
*Corline fait actuellement un break pour se consacrer à d’autres projets.